Départ pour le village des Kroeungs

La rencontre des Minorités de l'arrière pays

Ce matin, nous patientons devant le restaurant du propriétaire français qui ouvre ses portes à 7h30. Comme le livreur de pain n’a toujours pas terminé sa tournée, nous commandons des pancakes, le seul autre met qui nous parait « normal » pour un petit-déjeuner « français ». Puis après avoir englouti une généreuse assiette de crêpes rutilantes et huileuses mais néanmoins délicieuses, nous rejoignons Deth qui nous attend avec le 4X4 devant l’entrée de l’hôtel Ti Ath Lodge .

Deth nous présente à Lina Ouch, notre guide de la journée. Il s’agit d’un jeune khmer anglophone, de petite taille, plutôt menu mais au sourire éclatant  qui se chargera de nous conduire chez les minorités Tompuon au cours de la journée. J’appréhende déjà la journée : sachant que mon niveau d’anglais est pour l’instant insuffisant niveau compréhension et encore pire à tenir une conversation, mais bon je me donne le courage en me disant que ce n’est qu’en me frottant à la langue que j’apprendrai un jour à devenir bilingue ! 

Nous le redoutions. Ce matin il pleut toujours après le déluge de cette nuit, nous embarquons tous dans le 4X4 sceptiques sur l’apparition du beau temps dans les heures qui suivent… C’est parti pour un voyage sur les Pistes de terres, tantôt larges puis étroites et parsemées d’impressionnants  nids de poule. Avec la boue, ça patine, avec les trous, ça cahote mais nous gardons le sourire intacte ! Sur la route, plusieurs minorités vêtues de modestes guenilles sales et déchirées, rafistolées une centaine de fois tant que le tissu ne s’est pas désintégré. Sur leur dos famélique, courbé par le poids d’un lourd fardeau, d’énormes sacs en osier remplis de fruits et légumes cueillis dans la nature pèsent sur leurs étroites épaules amaigries. Je remarque leur visage ridé par le temps, la peau caramélisée par le soleil cuisant fragile mais aussi tenace d’un boyau d’agneau.  Pour ces personnes « sauvages » le temps presse si elles veulent rattraper le centre-ville de Ban lung à pied afin de vendre leurs produits. Lina nous affirme que souvent elles arrivent à la fermeture sans même avoir eu le temps d’atteindre leur destination !

Un peuple animiste

Plusieurs tribus montagnardes construisent leurs villages à l’écart de la société khmère, et vivent de manière rudimentaire grâce aux maigres récoltes agricoles fournies dans la nature ou de productions faites manuellement. Ce sont des petits peuples animistes, dont les croyances sont tournées vers l’harmonie de l’âme dans une optique de personnification des êtres vivants, objets mais aussi éléments naturels ou d’esprits protecteurs. Le culte qu’ils rendent se prénomme le Neak Ta , assimilé à des divinités protectrices qui assurent le lien entre le peuple et la terre fertile ainsi que leur prospérité. Ces âmes ou ces esprits qui rythment  le cours de leurs vies agissent sur leur univers de façon plus ou moins positive, d’où la nécessité, pour ces ethnies reculées, de leur adresser sacrifices et offrandes afin de leur démontrer leur humilité. Les esprits incarnent chaque élément tels que le sable, le bois, les arbres mais encre plus important, le riz !

Bien que nous nous rendions au village Tompuon accessible par la rivière, nous nous arrêtons sur le chemin non loin du village des Kroeungs, une autre ethnie de la région du Ratanakiri qui peuple la forêt relativement près du chef-lieu. De nombreuses rizières appartenant aux minorités entourent leur communauté, depuis très longtemps elles sont source de conflits entre la population khmère et les peuples reculés. Le riz est en effet « l’or blanc » du Cambodge, symbole de richesse et de prospérité. La majeure partie de la population khmère utilise le char à bœuf afin de labourer la terre de façon homogène, après quoi il est facile d’entamer les semences. Les buffles, attelés à une charrue en bois sont guidés par les agriculteurs dans une terre humide et imbibée d’eau, ce qui permet de tracer sur le sol des lignes de fossés peu profondes qui accueillerons les semences, un travail exténuant à la fois pour les hommes que pour les bêtes chargées de labourer la terre.

Les tribus possèdent leurs propres rizières qu’elles cultivent de façon différente et ancienne en comparaison du reste de la population. Si la méthode du char-à-bœuf nous paraissait très rustique, il est difficile de l’imaginer encore plus. Mais c’est le cas,  en effet, aujourd’hui  les minorités utilisent la façon traditionnelle du piquage du riz, c’est-à-dire  qu’on utilise de longs bâtons afin de creuser la terre puis d’y enfoncer la semence. Les jeunes plantes vertes plantées de manière rapprochée sont par la suite replantées dans des parcelles plus espacées.

Mais le problème qui oppose les minorités au reste des khmers n’est pas tant dans leur façon de cultiver mais plutôt dans les conséquences que cela engendre. Le fait de devoir planter les semences puis de les changer sans cesse de parcelle est un fait qui inquiète la population car cela entraine de nombreux défrichements. De plus,  ce sont des peuples nomades qui abandonnent leurs cultures à chaque fois qu’ils changent de régions sans prendre la peine de replanter des arbres. Ces ethnies sont donc à l’origine de déforestations massives dans les régions reculées du pays entrainant la perte d’importants champs de bois nécessaires à la croissance de l’économie.Néanmoins le riz est réellement la seule chose que les tribus éloignées possèdent, toute leur vie tourne autour du riz , le matin ils se lèvent pour aller aux champs, ils tamisent le riz, l’écorcent et le mangent, ils construisent des abris, font des sacrifices puis remangent s’il leur reste le nécessaire avant d’aller se coucher pour se reposer d’une journée harassante tout en se disant que le lendemain sera exactement pareil que la veille. Le riz est donc un aliment sacré, je dirais même un moyen de survie. A ce titre,  ils lui vouent un culte régulier : à chaque piquage, ramassage et tamisage de cet or blanc, un animal, plus ou moins gros, est sacrifié.

Nous nous arrêtons dans une de leurs rizières au gré de la route. Deth nous interdit formellement ne serait-ce que de cueillir un grain de riz au risque de faire face au courroux des peuples sauvages et de leurs esprits sacrés . Au champ il n’y a cependant personne pour le moment, nous en profitons pour admirer un étrange piédestal fabriqué entièrement de bois servant aux sacrifices de vaches ou taureaux. Il y en de similaires plantés sur chaque champs car encore une fois le riz est très sacré pour les minorités.  Lina nous explique le fonctionnement de l’étrange machine  bien que je ne comprenne pas bien son anglais. Il nous explique également qu’avec le reste de semoule riz de la précédente récolte les ethnies fabriquent de l’alcool de riz dans des grandes jarres à la manière de la fermentation de la bière. L’alcool obtenu est très fort lorsqu’on l’ingurgite à forte dose. Les hommes et les femmes aspirent l’alcool à l’aide de grandes pailles et sirotent le breuvage jusqu’à s’en rendre souls, état dans lequel ils communiquent plus facilement avec le monde spirituel.

 

 

Arrêt au village Kroeung

Plus loin, sous la pluie, nous arrivons dans le village des Kroeungs. Celui-ci est totalement désert en raison du mauvais temps, ce pourquoi nous n’y restons que quelques minutes. Lina nous y arête pour que nous puissions voir les maisons de célibataires prisées par les touristes. La vie quotidienne des minorités est bien évidemment tournée autour de la culture du riz et de leurs croyances mais il est important pour eux d’assurer la lignée de la famille. Ayant atteint l’âge adulte de la maturité, il est temps pour les enfants de quitter le foyer familiale à la conquête d’un second. Mais la pêche ne se fait pas selon leur propres désirs, ce sont les parents qui choisissent pour leurs enfants, l’homme ou la femme avec qui ils vivront pour le restant de leurs jours. Avant le mariage, le futur couple vit dans des maisons séparément situées à proximité de la maison parentale. A partir de 15 ans voire 14 ans les jeunes filles sont déjà vouées à un mariage précoce.

 

Maisons pour les filles (gauche) et pour les garçons (droite) avant le mariage 

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