Skuon, au marché des araignées !
Si la majorité des personnes sont khmères, quelques touristes curieux se mêlent à la cohue bruyante et les marchands profitent des regards étrangers pour étaler leurs traditions culinaires. Dès que nous franchissons l’entrée du marché, des femmes portant des bambous de riz gluant et œufs de caille durcis se précipitent sur nous. Nous leur faisons comprendre que nous ne sommes pas intéressés mais elles semblent particulièrement tenaces tout comme les enfants qui nous suivent à la trace. Nous remarquons qu’à proximité des étals, un snack vend des plats de nouilles, de riz typiques de la cuisine traditionnelle khmère. Le propriétaire ne s’est probablement pas installé ici par hasard mais plutôt par stratégie : après avoir fait un tour du marché, les touristes viennent, tous, commander un soda ou une barre chocolatée afin de faire passer le goût âpre des insectes grillés !
C’est incroyable de voir à quel point les enfants nous enserrent et nous haranguent jusqu’à ce que nous leur achetions leurs fruits, nous n’arrivons même pas à faire deux pas sans qu’ils nous laissent respirer. Nous arrivons devant les stands jonchés de plateaux circulaires, chacun accueillant une spécialité régionale différente. Les étals sont vraiment très esthétiques, les couleurs assorties, les plateaux bien agencés et reflétant les rayons du soleil sur leur surface argentée. En revanche si l’on s’attarde sur la nourriture qu’ils accueillent, cela nous apparait moins attirant : les araignées cuites, les cafards, criquets, vers, grenouilles, cailles, et autres insectes grillés empilés les uns sur les autres forment des espèces de longs cônes à étages multiples.
Chaque marchand propose leurs insectes, et l’habitude des touristes fait qu’ils possèdent, en plus des tarentules grillés, des bassines d’araignées vivantes qui éveillent toujours la curiosité. Bien sûr nous sommes les premiers de la journée à nous faire avoir par l’attraction.
Deth nous pose une tarentule vivante sur le bras espérant que nous crierions de stupeur mais nous ne sommes pas si impressionnés que prévu : il est vrai que nous nous étions préparés à la situation, l’effet de surprise ne nous aurais pas fait réagir de la même manière! Lorsqu’Amandine me pose la tarentule sur le bras, je la croyais morte. Jusqu’ici elle n’avait pas bougé d’un millimètre mais visiblement mon bras semble lui procurer un bon terrain de jeu. Elle se met à gambader si rapidement que j’ai du mal à la retenir sans qu’elle ne menace de s’écraser sur le sol. La sensation de ses huit pattes velues sur ma peau lisse ne se révèle pas vraiment des plus agréables et très vite je la transmets à papa pour m’en débarrasser : lui non plus ne semble pas très impressionné... Mais la rigolade s’achève rapidement, nous passons désormais à l’action, la raison pour laquelle nous sommes venus.
Nous achetons deux belles grosses tarentules dodues et bien grillées à l’une des marchandes assises derrière son stand. Et puisque nous y sommes, nous n’hésitons pas à croquer à pleine dent, à mâcher, à mastiquer, à broyer et à déglutir le gout amer, le jus sucré, chaud et dense que l’on sent couler le long de l’œsophage, juste pour la photo. Je me limiterai aux pattes laissant de côté le corps plus volumineux, rempli d’une substance sombre plutôt suspecte d’où émane une odeur âpre. Finalement le moment n’est pas si horrible que nous ne l’imaginions. Il faut dire que l’araignée, grillée dans une sauce très sucrée, n’a plus vraiment ses propriétés gustatives premières : le sucre a fonction d’apaiser le goût de la chair protéinée. Le passage le plus répugnant est probablement le petit craquement que l’on perçoit sous la dent à chaque fois que l’on mâche, l’astuce et de ne pas garder la bête dans la bouche très longtemps, autrement dit de broyer grossièrement le morceau puis de l’avaler le plus rapidement possible .Une fois l’épreuve terminée nous nous sentons mieux! Deth, lui, préfère s’abstenir pour la matinée, même s’il nous avoue qu’il raffole de ces bêtes. A l’apéro, un verre d’alcool de riz accompagné d’une bête à huit pattes : quel délice !
Nous faisons ensuite un tour du marché, traversant et flânant entre les étals riches de mets incluant les insectes frits. Nous goutons d’autres spécialités de la région beaucoup moins répugnantes que les araignées ; des chips de pomme de terre mauves par exemple, ou encore des fruits secs, des noix, de fines chips de bananes coupées en rondelles, ou natures, dorées et imprégnées d’une huile sucrée créant un mélange sucré et salé que nous estimons moins déplaisant que le goût des araignées. Il y a aussi plusieurs sortes de beignets de bananes tels que nous en avons déjà vus sur la promenade de Colombo au Sri Lanka et des beignets au poisson. Certains sont garnis de fines crevettes qui se dégustent avec la coquille, la tête et les antennes.
D’autres beignets de calamars et à la sèche sont reconnaissables ainsi que des graines de lotus grillées, œufs de caille et œufs durs . Nous pensions qu’il s’agissait d’œufs fécondés dont les khmers font leur péché mignon mais Deth nous informe qu’il s’agit bien d’œufs durs. En revanche, il nous déconseille de goûter pour une simple raison d’hygiène. Nous terminons notre promenade au marché dans une atmosphère qui se fait de plus en plus agitée puis prenons place sur une table du bar qui jouxte les multiples stands. En face de nous, deux cambodgiens nous regardent sans lever la tête de leur assiette. Le couple a commandé une spécialité de nouilles au poisson dont la chair parait blanchâtre et visqueuse, mais qui s’apparente tout aussi bien à quelque viande étrange. Sachant que les cambodgiens sont prêts à déguster des œufs fécondés, des insectes ou des œufs de fourmis, nous ne préférons pas imaginer ce qui baigne dans la sauce de l’assiette de ce couple.