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A la rencontre des Tompuons

La traversée de Se San River

Sous un temps relativement orageux, nous embarquons sur des petites pirogues à moteur et entamons une traversée de trois quart d’heure au cœur de la rivière Se San pour gagner Voeune Saï, petit village Tompuon, lequel n’est accessible que par l’eau … Heureusement nous arrivons, soulagés, sur la rive du village sans qu’il n’y ait eu une seule goutte de pluie.

 

Dès que nous débarquons, nous tombons face à face avec une femme Tompuon, accompagnée de sa traductrice Khmère puisqu’apparemment elle ne parle qu’un lointain dialecte seulement compréhensible par sa tribu. La femme, accroupie pieds posés à plat sur le sol, creuse dans le sable bordant la rivière à la recherche d’eau potable. Elle est munie de calebasses servant de récipient pour accueillir l’eau du confluent. Néanmoins, puiser l’eau dans cette rivière-ci pourrait très bien sortir du quotidien de cette communauté rurale, il devient de plus en plus rare que les Tompuons utilisent directement l’eau de la rivière puisque celle-ci est fortement polluée par les barrages hydrauliques vietnamiens qui rejettent leurs eaux polluées directement dans le cours d’eau. Cela nous fait prendre conscience de l’importance pour ces peuples qui, pour continuer de perpétuer dans les générations suivantes, ont impérativement besoin d’un environnent saint, dénudé de toute forme de pollution, ce qui semble très difficile depuis la mise en marche d‘une modernisation effrénée. D’ailleurs, cette jeune femme, sans même nous adresser la parole, parvient à nous faire comprendre que nous n’avons pas notre place au village et le seul but pour lequel elle et les autres villageois nous accueillent est de couvrir  quelques dépenses, car malgré tout, eux-mêmes, ne peuvent fuir à jamais la mondialisation fulgurante.

 

Nous marchons jusqu’à l’entrée du village par un petit sentier boueux jonché de détritus en tout genre qu’il s’agisse de sachets en plastique de feuilles mortes ou de fruits dégoulinants, noirs de moisissures. Le village habité par les Tompuons, nous parait au premier coup d’œil totalement désert mais Lina nous explique qu’en ce début de matinée, tous les habitants du village travaillent aux champs situés derrière les cabanes sur pilotis.  Des mares de boue nous obligent à contourner plusieurs fois le chemin étroit, des cochons noir tachés de rose croisent notre chemin, heureux de pouvoir se badigeonner de terre mouillée tandis que nous observons le quotidien des Tompuons, refugiés sous l’abri de leurs maisons, architecturalement mal taillées mais incroyablement solides. Ceux-ci vivent de l’agriculture, le riz et le bois, ils ne possèdent rien d’autre que ces vieilles cabanes rudimentaires où règne une obscurité pesante, sans eau courante, électricité, télévision ou quoi que ce soit qui relierait les habitants au « monde moderne ».

Sous le porche d’une des maisons, nous apercevons une femme trop âgée pour se rendre aux rizières avec le reste de sa famille. Nous nous approchons et lui demandons poliment si elle accepte que nous l’observions pendant son travail, ce qu’elle ne refuse après que Deth lui ait adressé quelques paroles khmères dont nous ne pouvons comprendre le sens . Nous pensons probablement qu’il lui déversera un petit pécule d’argent supplémentaire en échange de vendre son image, ce que nous n’osons pas faire nous-même pour quelques raisons de politesse. Ici ce sont les femmes qui travaillent plus que les hommes.

La plupart d’entre-deux dorment dans leur hamac pendant que les femmes s’exténuent au champ. Des mèches de cheveux gris attachés en chignon tombent sur ses épaules et cette femme au dos courbé. Ses yeux inexpressifs semblent figés dans le temps tout comme ses lèvres n’esquissent pas le moindre sourire, ce pourquoi je n’arrive pas à distinguer s’il lui reste encore des dents. Les rides creusent son visage laissant apparaitre deux grosses poches violasses sous ses yeux fatigués et inexpressifs. Sa peau dorée se  plisse à chacun de ses mouvements tandis que ses seins stériles tombent au niveau de son ventre amaigris. Elle porte une espèce de Krama tissé de motifs traditionnels et une veste sans manches décolorée. Grace à la maigre force qui lui reste dans les bras elle pile le riz à l’aide d’un long bâton de bois poncé qu’elle tape selon un rythme très régulier au fond d’un pot en bois massif Malgré sa vieillesse largement avancée, elle reste forte et robuste.

Oui ! Malgré son aspect cadavérique et son impossibilité de se rendre aux champs elle travaille tout de même et ce durera jusqu’à son dernier souffle…. Au prix de souffrir de tous ses membres, elle se baisse pour ramasser chaque micro grain de riz ayant pris la fuite du récipient en bois, pour la simple et bonne raison que chaque grain sera un gain de plus à mettre dans l’assiete de ses enfants et petits-enfants, car elle a besoin de se nourrir pour vivre et c’est pour cela qu’elle n’abandonnera ce travail ennuyeux, tant qu’elle n’aura encore la force de taper.

La pluie recommence à faire des siennes alors que nous quittons la vielle dame condamnée. Plus loin une famille nous offre refuge sous le porche de leur maison le temps que la pluie se calme. La mère et ses nombreux enfants attendent que le reste de la famille revienne des rizières tandis que la seule à travailler est une jeune femme âgée de seize ans seulement ! Son beau visage ferme et souriant marqué par de fins traits courbés, laisse échapper un léger sentiment de gêne mêlé de honte à notre approche. Nous aussi nous sommes très gênés  de violer leur intimité mais très vite nous sympathisons avec la famille au point de ne plus vouloir partir alors que la pluie s’est arrêtée.

 

 

En continuant la visite, croisons deux jeunes taureaux albinos couchés à l’ombre d’un pamplemoussier bien qu’il n’y ait pas de soleil. Egalement nous marchons dans le sens inverse d’une vielle dame revenant des champs arborant un krama traditionnel que nous hélons poliment pour pouvoir la prendre en photo. Très pudique, elle ne s’arrête même pas sur son chemin et continue tout droit en nous esquissant un grand sourire mais détournant la tête des appareils. Nous espérons seulement ne pas passer pour des japonais collés à leurs technologies hautes gammes et comprenons son comportement fuyard car nous non plus nous n’aimons pas être photographiés, de plus elle semble impatiente de poser son lourd fardeau qui lui pèse sur le dos.

Ensuite nous suivons Deth et Lina qui nous conduisent dans un bâtiment en ruine qui servait autrefois de salle de classe mais actuellement aucun enfant du village ne se rend à l’école abandonnée puisqu’i n’y a aucun professeur ! La petite salle abrite quantité de chaises blanches empilées ou renversées sur le sol, certaines sont rouillées par l’humidité régnante.

Un vieux tableau à craie, fixé au mur, garde encore des traces d’écritures et les murs auréolés d’humidité sont décorés de posters déchirés sur lesquelles sont imprimées les différentes lettres de l’alphabet khmer. Cette pièce me donne réellement des frissons. La plupart des enfants ici n'ont ni les moyens, ni la possibilité de recevoir une bonne éducation scolaire.

Encore la pluie nous oblige à nous réfugier sous le porche d’une maison habitée située juste devant l’entrée des champs. Une vieille femme nous offre l’hospitalité et nous fait signe de nous asseoir sur un vaste banc en bois. Nous la rendons très mal à l’aise si bien qu’elle se sent obligée de se réfugier dans sa maison nous laissant seuls sur les planches de bois. Ses deux petites filles n’osent pas nous approcher non plus, elles nous espionnent du haute des escaliers comme si nous étions atteints d’une maladie contagieuse, ce qui nous rend très mal. Nous continuons à les observer, essayant de les rendre moins timides mais rien à faire, nous ne parvenons pas à franchir leur barrière d’intimité familiale jusqu’à ce qu’une jeune fille d’une quinzaine d’année enceinte rentre du travail surprise de voir des touristes sur le palier de sa cabane. Elle aussi nous fuit pour se réfugier à l’intérieur à croire que nous empestons de vieux relents de nourriture, nous n’essayons pas d’en faire plus au risque de leur paraitre trop gênants. Enfin, après une dizaine de minutes la pluie cesse si bien que nous en profitons pour aller jeter un coup d’œil aux rizières. Nous avons même droit à la lumière d’un rayon de soleil égaré qui s’impose face aux nuages bombés d’eau en arrosant la vallée d’une étendue de couleurs pales.

 

 

Le paysage est vraiment spectaculaire. Nous restons là plantés comme des semences de riz à observer ce vert aussi intense et puissant que le lien génétique héréditaire de générations en générations. Puis nous rentrons au village et passons sur la place centrale marquée par une de ces « machines » servant aux sacrifices animaux lors de fêtes religieuse dont Lina nous avait déjà vastement expliqué le fonctionnement. Il s‘agit juste de piquer l’animal dans sa partie horizontal puis de la d’exercer le rituel sacrifice pendant ses dernières heures à passer sur terre avant que son âme ne rejoigne celles des esprits. Il parait que l’effervescence y est extrême, les sacrifices se caractérisent par une longue agonie de l’animal si bien que les touristes sensibles sont rapidement dégoutés ; de toute façon ces fêtes ne sont généralement pas accessibles aux touristes même si ceux-ci le désiraient, puisque les villageois refusent de délivrer leurs secrets religieux !

 

 

Nous remarquons des banderoles du PPC (parti du peuple cambodgien) même dans un village aussi reculé, apparemment les ethnies ne souhaitent pas vivre en société, coupées du monde et de tout son confort mais nous remarquons ainsi, que le monde ne les laissent pas si indifférents et naïfs qu’ils le paraissent, ce pourquoi ils ont soin à s’impliquer fortement dans la vie politique cambodgienne ! Durant le régime sanguinaire des khmers rouges ils ont été manipulés maintes fois au profit de catégories de la société d’un haut supérieur, ils ont été victimes d’assassinats de masse et depuis, ils mènent une lutte acharnée contre la corruption et ses composantes. Le seul problème que j’identifie dans leur démarche et qu’ils luttent au côté du PPC (parti du peuple cambodgien) mais que le directeur de ce parti n’est d’autre qu’un un ancien khmer rouge, Hun Sen, autrement dit , contre qui ils se battent. Si je comprends bien, le titre du parti les attire ainsi que plusieurs personnalités qui en composent l’assemblée, leur but est- il donc de faire tomber Hun Sen ? Enfin bref, je ne me crois pas assez qualifiée pour pouvoir m’impliquer dans la vie politique cambodgienne (ni même française) puisque je ne connais pas le contexte, et Deth risque de nous en parler tout au long du voyage si nous osons aborder le sujet. 

 

Le cimetière Tampuon

Nous retraversons le village pour rejoindre le cimetière Tompuon. Nous y parvenons par un sentier caché sous la végétation encombrante que nous n’aurions même pas vus si Lina ne nous y avait pas accompagnés. Le cimetière se situe avant l’entrée mais nous n’avions pas le droit d’y pénétrer avant de visiter le village car selon les croyances des Tompuons, nous aurions apporté avec nous les forces obscures émanant de mauvais esprits.

Lors d’un décès, les villageois organisent une longue procession en l’honneur du défunt où l’effervescence est inimaginable. La cérémonie est rythmée par des sacrifices sanguinolents,  des danses et des musiques traditionnelles censées guider l’âme vers « l’autre monde ». C’est également l’occasion de vêtir certains objets mythiques et autres vêtements traditionnels ainsi que d’ingurgiter quantité impressionnante d’alcool de riz.

Les corps sont posés dans des cercueils creusés dans des troncs d’arbre soudés avant d’être brulés.Par la suite, les défunts sont enterrés par famille dans de gros tombeaux sur lesquels sont juchés des statues stylisées sculptées dans le bois et peintes de couleurs vives. Ce sont des statues d’hommes et de femmes qui gardent la sépulture, sculptées à l’image des défunts. Le toit du tombeau familial prend la forme d’une barque dont le but symbolique est de fournir une embarcation aux défunts pour les aider à rejoindre « l’autre monde », rite extrêmement etroit aevc le ancienes croyances Égyptiennes. 

Pour l’occasion, des cornes de buffles sacrifiés sont ajoutées aux frontons des tombeaux à l’image de bijoux précieux. Le nombre de cornes plus ou moins grand indique le niveau de richesse de la famille du défunt à l’instar des tombes indonésiennes que nous avons eu l’occasion de visiter lors d’un précédent voyage en Indonésie chez les Torajas, mais c’est une autre histoire... Toujours étant, nous avons l’impression de chercher les œufs chocolat à la période de pâque, certaines tombes anciennes sont parfois si envahies par les plantes grimpantes que nous ne les apercevons même plus. Leurs sculptures sont déchues de leurs couleurs ne laissant pour trace que celle d’un piquet de bois plus ou moins bien taillé. Parmi les plantes grimpantes, qui dépassent la hauteur de nos hanches, nous déambulons à travers les anciennes sépultures pour regagner le bord de la rivière où nous attendent nos deux chauffeurs de pirogues. Le chemin est méconnaissable, occulté par la végétation, touffu et baigné d’une pluie tropicale.

 

Nous embarquons dans les pirogues sous un véritable déluge bien que nous n’avons rien pour nous protéger. Derrière nous nous laissons tristement le village Tompuon en espérant arriver rapidement à notre prochaine destination, le restaurant. Après quarante minutes de pirogues sous une pluie intense, nous débarquons trempés jusqu’aux os dans un petit restaurant situé sur les rives de la rivière Se San. C’est la première grande colère de papa contre Deth car pendant que nous luttions contre la pluie, Deth assis derrière moi bénéficiait d’une protection contre la pluie tandis que je me prenais toute l’eau à la fois de la pluie et de la pirogue qui m’éclaboussait en passant sur les vaguelettes de la rivière. Mais en réalité ce n’est pas pour nous que nous sommes en colère, c’était plutôt pour les appareils photos et l’ordinateurs que nous craignons le plus car ils ne sont jamais parfaitement protégés dans les sacs! Toutefois, le mal est passé. Lorsque nous faisons notre entrée trempée au restaurant, tous les clients nous fixent étrangement, leur regard à la fois mêlé de rires et de compassion. Pour nous faire patienter en attendant nos fried rice, Lina nous offre de petites pâtisseries khmères faites à base de riz et de sucre. En forme de petites boulettes, le gout délicieux me rappelle fortement celui des chouquettes ! Le déjeuner terminé et la colère passée, nous reprenons les pirogues pour gagner la rive opposée afin de rejoindre les villages chinois et laotien.

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