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Sous la pluie de Kampot, le petit bijou de Phnom Chnork

Après ce bilan des élections, dont nous avons assez entendu parler, nous poursuivons nos pérégrinations au royaume khmer. Nous quittons le Villa Lanka sous une grosse pluie orageuse qui déversera ses larmes toutes la matinée, formant parfois rivières et torrents incontrôlables. Nous demeurons silencieux dans la voiture qui subit les déformations de la route, les nids de poules,  la surface boueuse et glissante du chemin détruit. Il est plaisant à observer le déchainement de la nature et les bribes du triste paysage à travers les gouttes de pluies sinistres. Le trajet parait interminable.

 

Nous arrivons au niveau de la bourgade de Kampot, bifurquons sur une petite route qui rejoint le centre de la ville à Kep, encore plus abimée que celle que nous quittons. Les roues de la voiture s’enfoncent dans les immenses flaques brunâtres tandis que la pluie ne semble jamais vouloir s’arrêter. A gauche, un sentier longeant les rizières, s’enfonce dans la forêt. Nous l’empruntons car c’est le seul chemin qui conduit à Phnom Chnork . Ce nom parait bien repoussant aux premiers abords mais il serait vraiment stupide de notre part de manquer cette étape culturelle du voyage, située entre les villes du sud, Kampot et KepPhnom Chnork est grotte abritant un temple construit au cours du VII siècle dont les formes architecturales sont semblables à celles des célèbres temples d’Angkor. La particularité qui fait de Phnom Chnork un site vraiment intéressant à visiter est que son temple fut édifié plusieurs siècles avant que la lignée de « rois soleil » n’entame les premières fondations des temples d’Angkor, cité qui connut son apogée au milieu du XVe siècle. Autrement dit, ce temple éloigné et dissimulé dans les profondeurs de la végétation cambodgienne pourrait avoir été un site essentiel dans l’histoire de l’architecture khmère, qui aurait influencé de grands rois comme Jayavarman VII (qui régna entre 1181 à 1219) pour l’édification d’Angkor Thom, mais encore Survayarman II (1112-1152)  pour celle d’Angkor Wat 

Nous nous garons près d’un petit abri longeant quelques rizières épanouies, enfilons nos imperméables et nous munissons de parapluies. Comme la visite n’était pas prévue à l’avance, nous n’avons pensé à enfiler nos chaussures fermées si bien que nous nous retrouvons obligés de marcher avec nos tongs. Or, 300 mètres à travers champs et rivières, nous séparent encore de l’entrée de la grotte inaccessible en voiture. Nous nous lançons sur la piste tortueuse avec quelques appréhensions ; la pluie ne s’étant pas calmée, nous sommes d’autant plus sur nos gardes. Le chemin revête un manteau de boue lisse et onctueuse mais si profonde que nous avons la sensation affreuse que le sol se dérobe à chacun des pas lourds, disgracieux et maladroits. En ces temps de mousson, la terre devient inefficace à absorber les d’eaux tombant par litres , les champs de riz inondées et l’horizon forestière semblent vomir leurs réserves liquides, les paisibles rivières se métamorphosent en torrents déchainés. Le chemin se révèle impraticable dès les premiers mètres que nous franchissons. Le sol dur et sec des périodes chaudes se désintègre et fond pour ne former qu’une pate coulante et redoutable, dissimulée par la beauté de son teint rouge. Nous avançons sans nous arrêter, ralentis par le rideau de pluie qui nous accable, mais le plus gênant est sans doute le fait que nous ne possédons ni les chaussures ni les vêtements adéquats au temps orageux.

Au bout d’un certain temps, il me devient tellement impossible de marcher décemment que je me vois obligée de me déchausser pour pouvoir avancer sans que la boue ne colle à mes chaussures. C’est de cette manière plutôt incroyable que je me retrouve à flâner, pieds nus dans les rizières, tongs à la main, le parapluie de l’autre, protégée par mon imperméable rose reconnaissable à plus de 10 km à la ronde et le sourire jusqu’aux oreilles.

 

 

Nous parvenons jusqu’aux confluents d’une rivière que nous devons impérativement traverser pour rejoindre la grotte. Le seul pont qui permet de la franchir est un vieux tronc de palmier à sucre, fendu en deux, probablement installé par les campagnards pour se rendre aux rizières situées au-delà de la rive. Nous tâtons la structure afin de tester sa solidité. Jaugeant les environs dans l’espoir d’apercevoir un moyen plus sûr pour franchir notre obstacle, nous décidons de passer chacun notre tour avec l’extrême prudence que nous nous permettons. La surface glissante s’avère moins périlleuse que nous le prédisions. Je m’impressionne encore de ne pas être tombée dans l’eau malgré la maladresse qui me caractérise. De surcroit, nos vêtements sont tellement trempés que tomber ou pas n’aurait pas fait de grande différence. Papa et Amandine finissent eux aussi par enlever leur tongs, estimant ma méthode plus adaptée à la situation tandis que Deth s’y enfonce jusqu’aux chevilles avec ses chaussures de randonnées. Nous parvenons finalement au pied de la grotte. Deux autres touristes patientent à l’entrée afin d’espérer sécher avant de grimper, nous les saluons et remarquons leurs pieds nus souillés de boue. Les nôtres paraissent encore plus sales mais le périple en valait le coup. D’autres déboursent une fortune pour un soin complet en établissement luxueux et thérapeutique. Quant à nous,  nous nous contentons d’un excellent bain de boue naturel et gratuit !

Nous gravissons l’escalier de pierre serpentant dans la colline, parvenons à un point de vue sublime sur les environs puis, suivons les marches qui nous conduisent à l’entrée d’une caverne. La magie qui se dégage est inexprimable. S’élevant à plusieurs mètres du sol pour terminer en une gracieuse voute pointue, la caverne est très impressionnante. A l’entrée sur la droite, nous découvrons une stalagmite formant un éléphanteau, puis les contours de sa mère protectrice, tracés sur la paroi interne de la roche opposée. Enfin nous atteignons le centre de la grotte en descendant quelques marches humidifiées par les fuites d’eau qui suintent sur les murs de pierres, durs et glacés. La grotte obscure abrite un remarquable temple de brique sanguines datant du VIIe siècle. Il serait dédié à Shiva et selon certaines théories, il aurait inspiré l’architecture des temples d’Angkor édifiés trois siècles plus tard, ce qui semble quelque peu paradoxale étant donné son ancienneté. Le petit temple religieux, qui ne parait pas plus haut que deux mètres, se niche au cœur de la grotte. Son charme réside non pas dans sa petitesse mais véritablement dans la couleur de gré orangé qu’il revête.

 

 

En l’absence de torche, nous éclairons vainement l’intérieur de la minime structure grâce au flash de mon appareil photo mais l’obscurité omniprésente nous pousse rapidement à baisser les bras, comme si les secrets qui s’y cachaient devaient rester propriété de la nature. Nous demeurons quelques instants à écouter les couinements des chauves-souris perchées dans les ténèbres de la grotte. Cette dernière, percée d’une brèche lumineuse en son sommet, laisse filtrer la lumière extérieure qui semble la seule source d’éclairement du lieu.

Enfin nous reprenons le chemin boueux profitant de la cessation de la pluie. Dans une petite rivière formée par la pluie, nous croisons deux enfants solitaires, qui pèchent à la main de maigres poissons ainsi que de nombreux crabes emportés par le courant ascendant des ruisseaux naturels. Quelques femmes âgées, munies de paniers et de sacs de riz, rentrent des champs à la hâte en nous devançant sur le petit pont de fortune que nous avons emprunté en arrivant. Nous arrivons à la voiture mais avant de grimper au sec, nous nous rinçons les pieds dans l’une des nombreuses flaques d’eau pour ne pas salir l’intérieur. Nous poursuivons notre route pour Kep.

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