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Banteay Samré à nous deux !

 

Alors que la matinée est déjà bien avancée, nous enchainons les visites avec le temple de Bantey Samré que nous aurions dû visiter en début d’après-midi, ce qui marque une légère avance dans notre programme. Egalement connu sous le nom de « citadelle des Samres », nous atteignons le temple en seulement quelques minutes de voiture. Sous un soleil lumineux et une chaleur pesante, la splendide structure de gré dessine ses fins contours orangés sur le ciel dégagé d’une teinte bleue cristalline. Le temple, désavantagé par son isolement, n’accueille que très peu de touristes chaque année, pourtant il demeure l’un des temples les mieux conservées et restaurés de toute l’ancienne cité d’Angkor !  Aucune inscription ne nous a laissé de trace précise permettant de nous fournir le nom de son bâtisseur, mais on estime aujourd’hui qu’il fut édifié aux alentours du XIIe siècle par des hauts dignitaires de Sûryavarman II, puis agrandi au XIIIe siècle sous  Jayavarman VIII.

Banteay Samre fait partie des plus beaux sites d’Angkor, il reste pour moi l’un de mes plus beaux souvenirs. On n’y pénètre agréablement par un dallage de pierres sombres, détournées par les puissantes racines des fromagers. 

On pourrait aisément comparer cette allée à celle du grandiose Angkor Wat avec ses balustrades serties de Nâgas et de lions rugissant faisant figure d’officiels protecteurs du sanctuaire. Le petit temple revête une architecture carrée dont l’enceinte extérieure fut entièrement construite par un enchevêtrement complexe de pierres de latérite dont la couleur pourpre sanguin est reconnaissable parmi tant d’autres.

Plus loin, nous parvenons au cœur de la galerie qui fait le tour du sanctuaire central. Les frises minutieuses ornent les linteaux coincés entre les blocs de pierres. Nous nous attardons longtemps sur le gopura ouest dont l’entrée massive porte un fronton d’une finesse incroyable. 

Celui-ci représente l’alliance du dieu solaire (gauche) et de la divinité lunaire (droite) englobés dans des cercles.Sur le côté de la chaussé, nous croisons une très jeune dessinatrice dont l’art nous conquit aussitôt. Celle-ci, ayant aperçu que nous  la suivions des yeux, s’avance vers nous, un large sourire aux joues, tout en nous tendant un tas très épais de dessins empilés les uns sur les autres, que j’estimerais au nombre d’une bonne cinquantaine !  Nous ne refusons pas et décidons de regarder parmi les divers choix qui s’offrent à nous, Cette jeune artiste nous apparait tellement accueillante et chaleureuse que nous décidons, sur un accord tacite, de lui acheter deux de ses œuvres, ce pourquoi le « petit » arrêt s’avère durer plus longtemps que prévu.

Nous mettons un point d’intention à admirer chacune de ses aquarelles puis à délibérer minutieusement avant de désigner nos choix finaux. Nous procédons donc par élimination jusqu’à ce qu’émergent deux dessins que nous acquérons pour seulement la maigre somme de 20 $.

La jeune khmère s’empresse de les encaisser, essayant tout de même une dernière manoeuvre afin de nous soudoyer et de multiplier le petit pécule d’argent que nous lui tendons, néanmoins nous refusons poliment et continuons notre visite en  gardant un très bon souvenir de son extraordinaire bonne-humeur !

La lumière de cette journée ensoleillée embellit la cité khmère d’un voile doré. Bantey Samré est d’autant plus magnifique et nous déambulons dans le temple sur des terrasses élevées : parfois quelques pierres écroulées suffisent à rendre heureux un homme…

De nombreuses fenêtres laissent prospérer la lumière dans l’obscurité d’une galerie parées de balustrades ondulantes. Les frises sont riches en bas-reliefs représentant des scènes… toujours et encore de la célèbre légende de Râmâyana … . Le sanctuaire central est spectaculaire, un pilastre positionné sur son entrée illustre un buffle se faisant tuer par un Asura, démon issu de la légende hindoue du Barattage de la mer de lait

Nous reconnaissons également Vishnou chevauchant son oiseau mythique et d’autres reliefs plus petits.  A l’intérieur un petit couloir mène au cœur de la tour centrale flanquée d’une petite flopée marches. 

Un cercueil y est exposé mais sa signification demeure cependant inconnue, les avis sur sa signification restent mitigés : certains l’estiment comme un simple cercueil dont la fonction nous est connue mais notre guide nous apprend qu’il fut longtemps assimilé au piédestal d’une divinité hindoue, probablement Vishnou ; son hypothèse  fut contrée bien qu’il ne veuille pas en changer.  Une touriste solitaire, elle aussi dessinatrice, se dissimule discrètement au cœur de la tour centrale à la recherche de paix, de silence et d’inspiration pour l’illustration de son petit cahier aux pages pour le moment vierges.Nous la saluons et reconnaissons tout de suite son fort accent français puis, en l’évitant par la gauche, nous la laissons à sa rêverie. Au passage je prends beaucoup de plaisir à épier son carnet car ses esquisses détaillées au crayon me permettent de voir le temple d’un autre angle, comment dirait-on ? : plus artistique peut être... bien que la structure soit déjà un chef d’œuvre en elle-même.

Plus loin, la chaussée est bordées de deux impressionnantes bibliothèques dans un état de conservation étonnant. Leurs frontons étagés et leur toit ogival leur procure cette unicité différente des autres temples d’Angkor. D’autre part, nous remarquons que leurs colonnades ne sont pas décorées de déesses dansantes « Apsaras », ce qui reste intéressant relever dans la mesure où cette caractéristique est plutôt peu commune pour un temple édifié à la même époque que le célèbre et incontournable Angkor Wat. Globalement l’ensemble du temple de Banteay Samré est une vraie petite perle dont le travail minutieux, façonné par les mains khmères, a permis de fournir un résultat approchant la perfection. Pour terminer la visite en beauté sur une pointe de mystère, notre guide nous raconte une petite anecdote sur son architecture qui laisse apparaitre des épaisses fortifications que nous prenions pour des douves rectangulaires et qui, jadis, protégeaient le sanctuaire religieux. On dit, en effet, qu’autrefois le pourtour de ce sanctuaire central n’était pas immergé par de souples limbes d’eau de manière à symboliser l’océan entourant le mythique mont Meru, comme cela pouvait être le cas pour la grande majorité des temples d’Angkor,  mais par une véritable mer de bougainvilliers.  Reflétant l’or du soleil sur leurs pétales mauves, ces arbres fleuris embellissaient le temple d’une point de couleur vive. Il n’en reste plus qu’un aujourd’hui, seul sur une immense plage de verdure émeraude, respirant l’air pur des douces brises estivales, et  apportant sa touche romantique au paysage épuré. Le plus amusant est de s’imaginer la beauté des lieux avant notre arrivée.

 

 
La matinée s’achève alors que nous ne l’avons pas vu défiler. C’est incroyable de voir à quel point la beauté des temples prime sur la notion de temps et chacune des visites que nous effectuons accentue la vaste impression que nous n’aurons jamais assez le temps pour pouvoir ne serait-ce qu’en apercevoir le dixième. Porteuse d’innombrables secrets, les quelques bribes que nous avons pu déceler de la cité ne suffisent pas à combler cet immense puzzle incomplet. Je ne suis sans doute pas la seule à croire que personne ne pourra un jour percer entièrement tous ces mystères figés dans la pierre. Mais la réponse ne peut que s’agir du pouvoir  d’imagination ou du rêve puisque tous deux offrent parfois l’unique alternative lorsque le monde semble figé dans le temps: rêver de s’y enfouir et de pouvoir y déambuler encore longtemps, assez pour pouvoir enfin dompter la perfection, ou du moins juste avoir l’audacieuse ambition de la comprendre…

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