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Un éveil à Banteay Srei

« Petit joyau de l'art angkorien »

Aujourd’hui, il fait grand soleil ! Ce n’est pas en tuk tuk mais avec notre chauffeur Vanna que nous partons sur la route visiter les temples plus éloignés d’Angkor. Notre guide nous rejoint à l’hôtel et nous partons direction le temple de Bantey Srei.

J’avais pris goût à imaginer ce que je trouverais au Cambodge, ce que j’y découvrirais où même ce que je pourrais ressentir à l’approche de ce pays que l’on a tendance à trop oublier, mais en réalité j’étais encore loin, très loin de mes peines. Si l’on m’avait dit qu’au plus profond de la jungle, où la végétation luxuriante envahit chaque parcelle de terre , où les lianes ondulantes s’entremêlent  pour forer des nœuds indestructibles, et où la mousse sombre et mystérieuse s’infiltre dans les endroits les plus inimaginables, oui, si l’on m’avait dit qu’à travers cet immense fouillis vivace je tomberais sur l’un des plus beaux joyaux que peut nous offrir le pays Khmer, je ne l’aurait pas cru…pourtant c’est bien la réalité.

 

C’est un de mes coups de cœur du voyage avec Ta Phrom et Beng Melea, Bantey Srei ; petit bijou de de gré rose, situé à une vingtaine de kilomètres du centre de la magistrale cité d’Angkor, bâtie à partir du IXe siècle par les « dieux-rois »qui se sont relayés le trône au cours des siècles pour nous laisser l'un des héritages culturels les plus majestueux connu dans le monde entier. Le « petit joyau de l'art angkorien », comme on prend goût à le surnommer, est un temple dédié à Shiva, ce grand dieu de la trinité hindoue dont la mission perpétuelle est de scander le cycle du monde avec sa danse de destruction.  Taillé dans une pierre teintée de rose, ce petit temple éloigné possède des sculptures d'une finesse exceptionnelle dont il serait impensable de passer à côté lors d’un voyage au Cambodge.

Je suppose que qu Banteay Srei dont le nom signifie « citadelle des femmes », nous n’avions jamais rien su jusqu’à ce jour.  Contrairement à l’ensemble des temples ornant la cité d’Angkor, celui-ci ne fut pas l’objet d’une commande royale mais réellement édifié par un brahmane du nom de Yajnavarâha qui fut l’un des conseillers du roi Rajendravaman (944-968)   et qui, par la suite, devint le gourou du roi Jayavarman V, un autre grand bâtisseur d’Angkor. Les sculptures divines qui ornent aujourd’hui le temple furent rajoutées peu avant la mort du roi régnant sur la cité au Xe siècle.

Je croyais avoir fait le tour des temples les plus exceptionnels de la cité d’Angkor mais visiblement je suis loin d’être au bout de mes peines. Je n’ai jamais vu une structure telle que celle-ci celle ; un temple entièrement revêtu de grès rose ! Ce matin nous avons particulièrement de chance d’être les premiers privilégiés sur le site. Nous prenons en quelque sorte notre vengeance personnelle de la visite précipitée sur la fin d’Angkor Wat …

Le temple dominé par ses trois pyramides encadrées par deux impressionnantes bibliothèques est un ensemble quadrilatère disposé en trois enceintes concentriques. Nous nous attardons assez longtemps sur la porte d’entrée ornée de motifs raffinés notamment d’un Nâgâ tricéphal extrêmement bien conservé : il s‘agit d’un makara crachant un nâgâ à cinq têtes. Le fronton montre également le dieu Indra chevauchant son éléphant tricéphal du nom de Airâvata dans la mythologie hindoue. Les contours de ce dessin sont embellis d’une dentelle de pierre courbée et sensuelle d’une extrême finesse.

 

 

Après avoir franchi le gopura IV, nous débouchons sur une longue allée bordée de 32 bornes de gré. Sur chaque extrémité se trouve une salle dédiée, à gauche au roi Râjendravarman et à droite à son gouroYajnavarâha, unique bâtisseur du temple.

Quelques vestiges se cachent au-delà des bornes mais la végétation les a presque tous engloutis. Les bornes de gré depassées, nous avançons jusqu’au pied d’un linteau de la « salle longue ». La gravure en son centre  illustre le dieu hindou Vishnou sous sa forme animale de Narasimha, « l’homme lion »  déchirant la poitrine du roi des asuras Hiranyakaçipu.

Plus loin nous avançons et parvenons au niveau du troisième gopura. L’encadrement des portes revêtit des lignes innombrables de sanskrit dont les caractères empruntés à la langue indienne s’enchainent très souplement pour former une enfilade de crochets et de boucles. Au bout de l’enceinte, un piédestal déchu de son linga trône au centre de ce qui fut un petit temple gardé par des lions aux crocs acérés.

Après avoir franchi le premier pas de la porte d’entrée, enjambé linteaux et blocs de gré écroulés, le temple m’apparaît si envoutant de sa couleur safranée reflétée par la lumière matinale. Sa petitesse est rapidement égalée par la finesse de ses tours pyramidales effilées au sommet. Les pierres semblent ne pas avoir bougé mais je ne le serais jamais puisque je ne l’ai pas vu à son apogée.

Selon une légende qui court, le temple aurait entièrement été façonné par des femmes dont les mains fragiles leur permettaient d’atteindre une précision aussi délicate, beaucoup trop pour les mains rugueuses d’un Homme en tout cas; c’est de cette légende qu’il tire son surnom de «  Temple de la Beauté ».  

Les linteaux ornant l’encadrement des portes flanquées de colonnes de gré roses, sont d’une grâce inégalée et les gravures finement ciselées. Malheureusement l’enceinte centrale a été fermée au public pour dégradation trop prononcée et ce n’est sans surprise que j’apprends que les touristes n’y sont pas pour rien ; ils ont tellement touché les sculptures inconsciemment au point de les souiller complétement !  De loin nous pouvons apercevoir entre les tours rosées, les deux singes qui montent la garde d’un visage impassible. De l’extérieur nous mourrons d‘envie de déplacer la barrière nous bouchant le passage afin d’entrer dans le temple mais ce ne serait que pure folie ! A la place, nous passons des heures à le contempler…de dehors. Nous passons devant une statue à moitié cassée de Nandin, fidèle monture de Shiva ainsi qu’un second piédestal déchu de ses deux sculptures. Celles-ci étaient probablement dédiées à Shiva et sa femme Uma.

Le site, malgré son étroitesse comparé aux autres temples d’Angkor, possède des sculptures tellement fines qu’on a l’impression de se trouver devant le Parthénon ! Mais le plus impressionnant reste à découvrir : Apsaras aux contours sensuels et scènes de Râmâyana se perdent sur les linteaux minutieusement ciselés. Nous observons un moment les frontons des deux bibliothèques à l’extrémité du sanctuaire central. Sur l’un d’eux Shiva chevauche Nandin en compagnie de sa femme Uma dont le visage a été détruit. La bibliothèque sud revête d’impressionnantes gravures des scènes de la bataille de Ramayana. Sur l’une d’elle, le démon Râvana à dix têtes qui a enlevé l‘épouse de RâmaSita, est représenté secouant le mont Kailâsa devant les visages impassibles de Shiva et Uma.  Sur le linteau de la seconde bibliothèque, le roi Indra sur son éléphant tricéphale Araivâta tente d’éteindre le feu que le dieu Agni a allumé sur le mont Khandava pour tuer son ennemi le naga Takshaka. Il s’agit d’une illustre scène de la légende de Mahâbhârata . Mais l’issue de cette histoire est fort négative pour Indra car son frère Bâlârma aidé de Krishna contrent le rideau de pluie par une enfilade de flèches. Enfin, on peut reconnaitre le dieu téméraire Hanuman, chef de l’armée des singes, le même personnage envoyé par Rama et qui l’aida à sauver la reine Sita, l’épouse enlevée du roi… (légende de Râmâyana)

Pour terminer la visite nous enjambons quelques linteaux écroulés puis une flopée de petites marches afin d’accéder à l’enceinte extérieure bordée du lac qui incarne sans doute l’océan sacré entourant le Mont Meru, même s’il ne s’agit pas d’un temple montagne. Sa surface miroitante parsemée de fleurs de nénuphars mauves et roses nous envoute d’une mélodie scintillante. Il est vrai que les scènes représentées sur les linteaux le placent au plus haut degré de splendeur mais l’ambiguïté est de passer les ornements hindous, et de non plus regarder le temple danses détails, mais de l’admirer dans son ensemble magistral. C’est à cet instant que l’on peut comprendre que son charme demeure certes dans son infime précision, mais avant tout dans son silence, sa magie, sa simplicité… L’atmosphère régnante est vraiment indomptable et c’est probablement ce qui me fait savourer la délicatesse du joyau rose perdu dans la jungle…

S’asseoir et prendre le temps de contempler, se laisser envouter par la magie et le mystère, sans bruit, sans autre chose que ses yeux et ses pensées et redécouvrir le temple avec la même émotion que les explorateurs quelques années plus tôt, enfin respirer une bonne bouffée d’air mythique…le plus dur  est sans doute de jeter un ultime regard vers ce joyau khmer, en se disant que l’on ne le reverra probablement plus jamais. Malheureusment le silence est cassé par une vague de moines japonais en robe safran  venus déranger la tranquillité des lieux avec leurs IPads et appareils photos. Déferle alors une vague de touristes bruyants que nous laissons derrière nous avec grand plaisir.

 

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